Qu’achète-t-on quand on achète une gravure de Rembrandt ?
La « problématique » Rembrandt.
La grande majorité des gravures de Rembrandt vendues aujourd’hui dans le monde entier sont des impressions posthumes (imprimées après la mort de l’artiste). Les copies ou les gravures « à la manière de » circulent en permanence.
L’existence de plusieurs catalogues raisonnés (au lieu d’un en référence) rend l’identification certaine difficile.
Les prix sur le marché de l’art
Entre tirages médiocres et pièces intéressantes, on trouve couramment en vente sur le marché des gravures de Rembrandt de 500 € à 30000 €.
Les très belles pièces authentifiées s’échangent de 100000 € à 700000 €.
A voir :
Le contre-exemple au bas de cette page d’une gravure de Rembrandt à 575 €.
Mais qu’achète-t-on quand on achète une gravure de Rembrandt ? 9 fois sur 10 une réimpression…
L’œuvre gravée de Rembrandt comporte 290 plaques dont 81 seulement subsistent. L’eau-forte est la technique qu’il privilégiait mais il pouvait sur une même plaque de métal (donc pour une même gravure) utiliser aussi le burin et la pointe-sèche pour rendre un clair-obscur plus subtil.
Rembrandt commercialisait lui-même ses estampes. Dans de très rares exceptions, il est passé par un éditeur.
Lorsque la maison de Rembrandt et ses biens furent vendus aux enchères pour payer les créanciers dans les années 1650 ses plaques de cuivre et ses outils de gravure ne figuraient pas parmi les objets vendus. Leur absence a suscité un certain nombre de théories : il les avait vendus avant la saisie, confiés à des amis proches pour les soustraire ou elles ont été exclues de la vente par le tribunal.
Que sont devenues les plaques de cuivre gravées par Rembrandt après sa mort en 1669?
Leur itinéraire chaotique nous éclaire sur la nature des épreuves que l’on trouve sur le marché actuellement.
Au 17ème siècle
1) Un de ses amis, Clément de Jonghe, achète ou reçoit de Rembrandt soixante-quatorze plaques lors de la faillite de l’artiste, en 1656. Il en fait des tirages sans doute jusqu’à sa mort.
Au 18ème siècle,
2) Un catalogue de la vente aux enchères de la succession de Pieter De Haan en 1767 répertorie 76 plaques de cuivre de Rembrandt accompagnées chacune de quatre-vingts épreuves environ tirées au 18ème siècle. (À ce jour, on ne sait pas comment Haan a obtenu ces plaques).
Lors de la vente Haan en 1767, les cuivres sont rachetés par des marchands. Le principal acheteur est Pierre Fouquet qui en obtient 53.
3) Fouquet les vend à un collectionneur et graveur français la même année, Claude-Henri Watelet. Ce nom est à retenir car les tirages Watelet sont recherchés sur le marché.
Watelet réunit quatre-vingt-trois plaques. Il en retouche certaines. Le but de ces retouches était de redonner de la force au trait émoussé ou de rectifier ce qui lui paraissait être des retouches précédentes inappropriées.
Il tire des épreuves de ces planches modifiées. Il publie un album avec ces tirages et ceux de ses propres œuvres sous le titre « Rymbranesques ou Essais de gravures ».
Ces tirages sont recherchés car Watelet avait l’intention avant tout de restaurer les plaques pour accroitre la beauté des tirages.
4) À la vente Watelet en 1786, les 83 plaques sont rachetées par Pierre-François Basan
(1723-1797), marchand à Paris.
Il publie de 1789 à 1797 plusieurs éditions d’un recueil connu sous le nom de « recueil Basan ». C’est un autre nom à retenir car les tirages Basan sont très présents sur le marché.
Au 19ème siècle
5) Son fils Henri-Louis Basan retouche les plaques et, en 1807-1808, édite à son tour un recueil.
Les impressions Basan du père ou du fils ont été commercialisées sous forme de recueils et individuellement par Basan fils.
6) En 1810, l’éditeur Auguste Jean (mort en 1820) les retravaille encore une fois et fait paraitre un nouvel recueil en plusieurs exemplaires (tirages Jean). La veuve de Jean le réédite vers 1826 en collaboration avec l’imprimeur C. Naudet qui retouche un peu les plaques.
7) À la mort de la veuve, les cuivres sont acquis par Auguste Bernard, graveur, qui les retouche encore.
Au 20ème siècle
8) Son fils Michel Bernard fait un dernier tirage en 1906 (dits tirages Bernard).
9) Impressions en 200 exemplaires à partir de six des plaques venues de la succession Haan par J.M. Creery et J. Kay (dits « tirages Creery »).
10) Le collectionneur Alvin-Beaumont, devient propriétaire des cuivres de Michel Jean et fait faire des tirages dits « tirages Beaumont » vers 1906.
11) Alvin-Beaumont vend ses plaques à Robert Lee Humber en 1938, collectionneur américain. Les plaques sont déposées au musée de Raleigh, en Caroline du Nord.
12) En 1993, les héritiers Humber mettent en vente les soixante-dix-huit cuivres chez le marchand londonien Artémis. Plusieurs entrent dans les collections publiques dont 6 dans des musées hollandais.
Deux d’entre elles, peu retouchées, rejoignent le Cabinet des estampes de la Bibliothèque nationale. Elles avaient été aciérées (renforcées à l’acier) au XIXe siècle comme toutes les autres.
Cette pratique est fréquente. L’acier est un métal plus résistant que le cuivre et permet de préserver la profondeur du trait gravé qui s’écrase naturellement sous la pression des cylindres de la presse.
A ce jour, quatre-vingt-une plaques sont localisées.
Les tirages imprimés par Claude Henri Watelet au 18ème siècle atteignent constamment des prix élevés sur le marché international. Ces dernières années, le marché a montré des augmentations spectaculaires des prix des tirages imprimés au 18ème, 19ème et 20ème, c’est-à-dire des tirages Basan, Jean, Bernard, Beaumont et Creery.
Vous achetez donc 9 fois sur 10 une réimpression mais chaque tirage a sa cote et il s’agira toujours d’un investissement.
Vous êtes intéressé par l’achat d’une gravure de Rembrandt ? Quelques conseils :
1 – Connaitre les gravures de Rembrandt par les publications, les expositions, se faire l’oeil pour identifier le sujet.
Beaucoup de graveurs, auteurs de copies, n’avaient pas pour but de tromper et signaient leurs tirages. Ces copies sont souvent inversées par rapport aux originaux (car recopiées d’après un « positif ») donc identifiables.
Voir ici un exemple de copie inversée qui a été proposée pour expertise sur Prodezarts.
2 – Consulter les annuaires de cotes disponibles dans certaines bibliothèques, lire les catalogues des ventes publiques et des marchands d’estampes, consulter les résultats de ventes aux enchères sur Internet.
3 – Prendre garde aux héliogravures d’Amand-Durand (1831-1905) publiées en 1883, qui font de très bonnes copies. Rechercher leur monogramme rougeâtre imprimé au verso et examiner le papier de fabrication moderne.
4 – Conseil d’ordre général : vous avez une gravure entre les mains ? Rechercher une marque de collection pour identifier une provenance. Déchiffrer cette marque de collection grâce au Lugt.
(Ouvrage de Frits Lugt, dit « le Lugt », LE dictionnaire des marques de collection et des cachets d’atelier. Première édition en 1926, enrichie en 1956. Le Lugt est l’outil de travail de générations de collectionneurs, d’historiens de l’art et de conservateurs, depuis sa première édition.)
5 – Faire appel à un expert qui connait les diverses éditions (du vivant de l’artiste (rares) ou rééditions posthumes telles les Wattelet, Basan…), et/ou qui peut identifier une époque de production grâce à la nature et la qualité du papier, la présence d’un filigrane…etc…
L’expert est censé aussi faire la part des choses entre les différents états :
Définition :
Les épreuves d’état (appelés couramment « état »)
Avant d’arrêter la version définitive, l’artiste imprime plusieurs versions intermédiaires appelées « états ». Elles sont tirées en un petit nombre d’exemplaires, sont des jalons jusqu’à la version finale et à ce titre peuvent être recherchées par les collectionneurs.
On parle d’état unique quand aucun état intermédiaire n’est connu. On parle d’état définitif quand il s’agit du dernier, celui du tirage en nombre.
synonymes : épreuves d’essai ou d’atelier.
On retrouve constamment des états des gravures de Rembrandt. Et les auteurs de catalogue ne sont jamais d’accord sur le numéro d’état…Voir un exemple plus bas.
6 – Apprendre à distinguer les papiers :
Les papiers vergés anciens sont fabriqués dans un moule à partir de fibres végétales (lin, chanvre…), de fibres textiles (chiffons…). Pour ces papiers, une trame irrégulière de lignes croisées est visible en transparence (les vergeures et les pontuseaux) car le moule a laissé son empreinte sur la pâte à papier fraiche.
Les papiers modernes, ou mécaniques, sont fabriqués à partir de pâte à bois. Le vélin est relativement lisse, le vergé moderne montre une trame visible par transparence mais elle est régulière et très nette.
Quelques exemples pour illustrer cet article
Exemple de l’estampe la plus célèbre de Rembrandt « le christ soignant les malades », 1649, dite « la gravure aux 100 florins ». Ci-dessous :
Il s’agit ici d’une épreuve imprimée du vivant de l’artiste. Pour les catalogues raisonnés Bartsch, Hind et Biorklund-Barnard il s’agit d’un second et dernier état second, pour le catalogue Usticke d’un 2ème état sur 5. (Rappelons qu’il y a plusieurs catalogues raisonnés pour l’oeuvre gravé de Rembrandt, ce qui ne facilite pas les choses).
Cette gravure date d’avant de la retouche des yeux du Christ qu’a fait William Baillie après avoir acquis la plaque en 1775.
(peu visible mais illustre le fait que le dessin pouvait être modifié sur la matrice de métal.)
« L’estampe aux 100 florins » était la gravure la plus connue et la plus admirée de Rembrandt au 17ème siècle. Elle a atteint des prix élevés et a été copié quasiment dès sa publication.
En 1711, on a écrit que Rembrandt a offert une centaine de florins aux enchères dans le but de racheter une seule impression de cette gravure, d’où son surnom. Gersaint, l’auteur du premier catalogue raisonné des gravures de Rembrandt en 1751 (le Gersaint du tableau de Watteau), fait l’éloge cette gravure comme étant la meilleure estampe de la main du maître. Il attire l’attention sur le soin mis par Rembrandt dans la représentation de multiples sentiments humains, exprimés «avec tout l’esprit imaginable ».
Exemple de petit prix :
« Le Christ et la samaritaine », eau-forte du XVIIIe siècle : 575€ vendue sur le site Expertissim ci-dessous :
Description : 12,2 x 10,6 cm – Catalogue K.G.Boon n°71
Épreuve de l’état définitif en tirage un peu tardif (XVIIIe siècle), légèrement jaunie.
Marque d’une ancienne collection répertoriée dans Lugt mais non identifiée
(n° 1052) sur une étiquette au verso.
A été vendue chez Expertissim (site de vente en ligne d’objet d’art avec un système d’enchères inversées. Les objets sont authentifiés par les meilleurs experts français.)
Le site d’Expertissim
Ressources :
Une galerie d’experts :
Gabriel Terrades – expert : Antoine Cahen
8, rue d’Alger75001 Paris
site de la galerie Terrades
Sources de cet article :
– La Gazette de l’Hôtel Drouot (magazine hebdomadaire qui parait le vendredi)
– Le site d’Alain Cano expert et marchand
– Un article de Gisèle Lambert illustrant une exposition à la BNF
Auteur de l’article : Bettina Vannier
© Prodezarts.com
Voir : Prodezarts, comment ça marche ?